J’aimerais que le jeu de rôle devienne un loisir de qualité, permettant à chacun de développer et d’explorer son imaginaire, qu’il devienne un média créateur et libérateur. C’est ce qui m’a fait rédiger de nombreux textes et scénarios à une époque, c’est ce qui m’a fait commencer Monostatos et c’est ce qui m’a fait m’intéresser aux démarches intellectuelles fortes en jdr, comme le mouvement du jdr indépendant et de The Forge que l’on retrouve sur silentdrift.
Voilà pourquoi je voudrais présenter deux approches différentes pour améliorer les parties de jeu de rôle : l’approche par les techniques et l’approche par le système. Bravo, vous avez déjà deviné celle qui a ma préférence.
L’approche par les techniques est sans doute la plus répandue en France. Elle suppose que les parties de jeu de rôles peuvent être améliorées par des techniques, c’est-à-dire des manières de parler, de raconter et de communiquer l’information. Ce peut être par exemple par l’utilisation de techniques du théâtre (l’improvisation en particulier), par l’utilisation de musiques d’ambiance ou d’accessoires, par le recours à des techniques de manipulation ou de sélection de l’information (isoler un joueur temporairement par exemple) ou encore par des aides à l’improvisation. Ce sont les « conseils pour jouer » à la fin des livres. Dans une immense majorité des cas (Play Unsafe de Graham Walmsley est l’exception), ces techniques sont décrites ou crées à l’attention du meneur de jeu.
L’approche par les techniques suppose donc que le meneur fournisse un effort énorme par rapport au joueur ou qu’il possède une expérience très importante pour pouvoir améliorer ses parties. Il a une part importante de la responsabilité de la qualité de la partie ; dans des cas extrêmes, il est chargé de s’assurer que les joueurs passent un bon moment et que la partie se déroule « bien ». Donc, pour caricaturer, si le meneur est sans expérience, la partie est médiocre. Donc si le meneur n’a pas le temps de préparer pendant des heures, la partie est médiocre. Donc si le meneur n’a pas envie de faire le pitre, la partie est médiocre. Belle perspective.
Non seulement la partie est très dépendante du meneur, mais en plus cette approche rend le jeu de rôle encore plus difficile d’accès. Pour obtenir une partie de qualité il y a non seulement une barrière à l’entrée (il faut « apprendre à faire du jeu de rôle »), mais en plus il y a une incitation à sortir pour ceux qui manquent de temps. Ca ne vous rappelle pas les problèmes majeurs du jeu de rôle à l’heure actuelle : recruter dans la nouvelle génération et empêcher que les habitués s’arrêtent une fois leurs études achevées ?
L’approche par le système suppose pour sa part que pour faire une bonne partie de jeu de rôle, il faut un bon jeu, c’est-à-dire un bon système. Le système est ici considéré comme l’ensemble de l’univers, des règles et du rôle des personnages créés en cohérence pour viser une expérience de jeu bien précise (raconter une histoire chevaleresque et tragique, mettre les joueurs devant des choix moraux déchirants, explorer un univers d’un genre particulier, etc. etc.). Pour que la partie soit bonne il suffit juste que tout le monde soit bien accordé sur le but du jeu et comprenne le fonctionnement du système. Cette approche se moque donc de l’expérience ou de la préparation : il n’y a pas de bon ou de mauvais joueurs, du moment que tout le monde comprenne et respecte le système. La seule expérience qu’elle puisse reconnaître est celle de la compréhension plus ou moins profonde du système, pour ceux qui sont habitués au jeu.Si vous relisez ce raisonnement, vous vous rendrez compte qu’il s’applique pour tous les autres jeux : jeux de société ou jeux sportifs.
Cette approche rend le jeu de rôle beaucoup plus facilement accessible (il suffit de lire et d’appliquer les règles) et permet d’y jouer même sans avoir de temps de préparation. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la plupart des jeux qui suivent cette approches proposent une très faible préparation des scénarios, voire aucune. Enfin, cette approche ne charge personne de la qualité de la partie, tout le monde est partiellement responsable, au même titre qu’il s’agit de jouer « fair » dans d’autres jeux.
L’approche par le système est privilégiée par les jeux indépendants de The Forge et de silentdrift dont vous trouverez des exemples sur la page de liens.
Quelques remarques pour terminer. Je n’ai volontairement pas défini précisément ce qui fait la qualité d’une partie de jeu de rôle, parce que je me rapproche des théories forgéennes selon lesquelles chaque jeu a un objectif différent et propose donc des parties où la « qualité » sera atteinte différemment. Par ailleurs, je ne dis pas que ces approches s’excluent l’une l’autre, mais plutôt que l’approche par le système rend inutile l’approche par les techniques, de toute manière lourde et pénible.
Meneurs, cessons d’être des amuseurs publics ! Joueurs, explorons les règles et leur richesse pour obtenir le meilleur de chaque jeu ! Auteur, élaborons de nouveaux systèmes pour explorer de nouveaux mondes !